"Cyrano(s)" d'après Edmond Rostand par Les Moutons Noirs : « la goutte à l’imaginative »

À voir si : vous avez le cœur bien accroché

AU FESTIVAL OFF D’AVIGNON 2021
Au Théâtre du Roi René
à 16h25

© Les Moutons Noirs

© Les Moutons Noirs


“On a tous en nous un petit truc qui cloche, un truc de Cyrano”

Cyrano(s) , Les Moutons Noirs


Dans une adaptation moderne de la grande pièce de théâtre, la compagnie des Moutons Noirs manque son envoi et ne touche définitivement pas. La faute à trop de registres de jeu superposés brouillant jusqu’à l’émotion des vers sublimes de Rostand. C’est bien dommage, les comédiens ont tant de panache…

De belles et fortes voix déclament en pleine rue… Mais n’est-ce pas le début de Cyrano de Bergerac ? Mais bien sûr, la pièce dans la pièce. On entre alors avec la gourmandise de redécouvrir un si beau classique… Ici, l’angle est celui du complexe. Et si Cyrano n’avait pas eu ce nez disgracieux ? La face du monde aurait été changée… en moins belle car cet être grandiose n’aurait pas jailli sous la plume de Rostand. Les comédiens nous renvoient la question : et si nous avions tous en nous un peu de Cyrano ? Un peu de ce panache désespéré mais vaillant qui transcende et sublime les différences ?

Une adaptation qui bataille trop dans tous les sens

L’intérêt est suscité, nous attendons que les comédiens « délabyrinthent » leurs propos - nous paraphrasons Roxane. Et, pourtant, point de verve. Seul le texte originel est déclamé avec, par-ci, par-là, des confessions intimes de chaque comédien sur leur complexe handicapant. Pas du plus bel effet d’ailleurs et coupant sans transition l’intrigue de la pièce. Outre cette prise de parole, seule l’interprétation joue sur la nouveauté allant parfois jusqu’à la caricature… Les comédiens lâchent la bride mais ont, en définitive, « la goutte à l’imaginative ». Le résultat ? Trop de registres de jeux superposés sans réel fil rouge. Un mélange disgracieux qui brouille l’émotion, le texte et le jeu. Quel dommage ! Le propos ambitieux n’est pas tenu : aucun autre message n’est retiré de cette adaptation outre celui de la pièce originelle en arrière-plan. Et encore, tant elle est écartelée entre la farce et l’émotion. Le temps suspendu tant attendu au théâtre est ici malheureusement pourfendu…

Des comédiens dont le panache naturel n’est pas servi par cette pièce sans sève

On nous offre du brouet quand nous espérions des crèmes… Les cinq comédiens (quatre hommes et une femme) aux voix de stentor savent d’emblée installer et incarner les personnages hautains de Rostand : là, les marquis, ici, le Duc de Guiche ou encore Montfleury, cette « mortadelle d’Italie ». Les voix portent bien, les corps se placent avec une présence impactante, tout est là : Les Moutons Noirs ont indéniablement du panache ! Pourtant, sans réelle ligne directrice, chacun des comédiens semble jouer sa partition sans écouter son partenaire. À trop vouloir jouer sur le décalé et la folie - signature somme toute attrayante de la Compagnie - le ridicule pointe le bout de son nez. Quel dommage, vraiment ! Cet exercice de style doit être densifié car tout le matériau est là pour faire rire, pleurer et réfléchir sur un thème qui raconte bien l’époque : accepter les différences et en faire des forces. Nous soutenons la Compagnie Les Moutons Noirs - dont nous avons particulièrement aimé l’adaptation de « Titanic » - pour leur univers revendiqué et leur troupe démente !

Claire Bonnot

« Cyrano(s) » d'après Edmond Rostand par Les Moutons Noirs

Durée : 1h35