"Le Nid de Cendres" de et par Simon Falguières : le réenchantement du monde

À voir si : vous avez le cœur passionné

Du 19 au 23 mai 2021
Au Théâtre de la Tempête

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin


“Notre monde est peuplé de deux moitiés malades, deux moitiés de pommes malades (…) le monde enchanté et le monde désabusé”

Le Nid de Cendres, Simon Falguières


Dans une tétralogie épique emmenée par une troupe au firmament, le talent de conteur et de metteur en scène de Simon Falguières irradie les planches. « Le Nid de Cendres », aventure théâtrale et humaine à l’aura contemporaine, est de ces récits intemporels qui se transmettent de générations en générations. Une fable au souffle inépuisable !

En découvrant « Le Nid de Cendres », c’est un peu comme si l’on rouvrait le livre de contes, celui de la magie des histoires, ici incarnées au théâtre. Simon Falguières - qui avait envoûté Apartés avec son merveilleux Les Étoiles - est bel et bien un enchanteur….

Dans le berceau du monde et du théâtre

Cette histoire du Nid de Cendres a éclôt il y a des années. Elle est une aventure au long cours, une épopée dans l’épopée, celle d’un jeune homme de théâtre qui rencontre une jeune équipe de comédiens qui l’inspire au Cours Florent. Durant six années, la joyeuse troupe se retrouve chaque été pour monter cet « acte théâtral rêvé » dans la tradition du théâtre de décentralisation, sur un tréteau de bois construit par leurs soins dans le jardin de la famille d’une des comédiennes, non loin d’Angoulême. Il y est question d’un monde coupé en deux, comme les deux moitiés d’une pomme (référence au fruit biblique de la connaissance du bien et du mal ?). D’un côté, un monde enchanté avec un roi et une reine, prête à enfanter. De l’autre, l’Occident en proie à de grands tourments et à son déclin, à l’aube de la naissance d’un nouveau petit humain. Deux enfants, un garçon et une fille, ainsi mis au monde dans ces deux hémisphères et séparés par la frontière entre le merveilleux et le réel, seront poussés par le destin pour ne faire plus qu’un et parvenir à réunir ce monde déchiré. Car, à la froide actualité qui terrifie le quotidien du monde - Simon Falguières débute par une scène d’attentat écrite au lendemain du 13 novembre 2015 -, la magie des histoires séculaires rappelle à l’homme son humanité. Et c’est bien là le souhait de ce jeune trentenaire passionné : « Le Nid de Cendres est un acte de foi, un manifeste sur le théâtre et sur le ré-enchantement du monde par la parole ». Véritable série théâtrale de six heures portée par seize comédiens fantastiques et découpée en quatre chants - Le Chant des Abandonnés, Le Chant de l’Endormie, Le Chant des Cendres, Le Chant traversé - Le Nid de Cendres concentre tout ce dont rêvent les enfants, les grands enfants, les mystiques, les poètes, les mélancoliques et autres croqueurs de la vie et de la poésie à pleine dents. Chacun y piochera ses références, dans les récits bibliques ou mythologiques telle l’Odyssée d’Homère, le théâtre de Shakespeare, les contes millénaires et les actualités de notre monde contemporain. Le fil de cette histoire est accroché du côté enchanté, avec la naissance de la princesse Anne et la lente agonie de sa mère, tout autant que du côté réel, aux élans cauchemardesques entre crise financière et révolution populaire. À la manière des contes initiatiques, les deux “élus” chemineront l’un vers l’autre en passant par des étapes fondatrices : la princesse Anne, partie pour un long voyage sur les mers à la recherche de celui qui sauvera sa mère, traversera les limbes à la manière d’Ulysse pour y découvrir, entre autres, la station des poètes, Shakespeare, Homère, Sophocle. Dans une scène hilarante, les trois génies se diront « copiés » par cette jeune femme qui leur conte une histoire très similaire aux leurs. Ou l’éternel passage de l’être humain sur la terre raconté depuis des millénaires par les imaginaires des grands philosophes et poètes… Le petit Gabriel qui échappera à la fureur d’un certain Badil par deux fois, alias le Diable, nommé tel qu'il est dans le monde enchanté, et auquel sera confrontée la princesse Anne dans une scène mythique digne de l’Ancien Testament. Ces deux-là sont aussi portés par leur entourage et ceux qu’ils vont croiser. Très beau est l’hommage fait au théâtre au travers de ce si romanesque « Au Théâtre des campagnes ». Cette troupe en errance recueillera Gabriel, l’enfant traqué. Survivant difficilement, résistant face à la révolte violente qui déchire l’Occident, elle incarne la foi ultime, celle des mots que le théâtre souffle encore et encore, nourrissant inlassablement le cœur des gens : « Notre petit théâtre résonnait comme une petite prière parmi la folie du monde. (…) Nous sommes des miraculés (…) On jouera sans mots. La nuit, on récitera Homère. Et nous ferons des rondes de sommeil pour que la parole ne s’arrête pas ». Tout est symbole dans le théâtre de Simon Falguières qui rappelle, à chaque scène, la magie de la vie, jaillissant dans la souffrance comme dans la joie. Cette phrase, extraite de ce si beau poème qu’est son texte, parle d’elle-même : « Le monde, quand on le comprend, est un poème pour enfants. Rien de moins. »

Le cercle des poètes retrouvés

Au son d’un accordéon, d’un violon ou d’un piano, les décors tourbillonnent dans des changements de scène à vue tous plus beaux les uns que les autres. À la façon du théâtre de tréteaux, la simplicité (ultra-travaillée bien sûr, superbe scénographie de Emmanuel Clolus) est de mise - un échafaudage métamorphosé selon les plans, des chaises, des draps, de merveilleux effets lumières (Léandre Gans) et la magie prend ! Parfois même, entre les différents chants, le rideau se ferme et deux ou trois comédiens, sortis de scène et entrant par la salle, jouent au narrateur shakespearien, ravivant encore un peu plus notre désir de poursuivre cette histoire aux mille tiroirs. La mise en scène, signée du chef de troupe et auteur Simon Falguières, est fabuleuse : fougueuse, romanesque, tragique, esthétique, burlesque ! Sur ce terrain de jeu incroyable, les comédiens brillent de mille feux : car, en plus d’être portés par un texte pétri de souffle, ils ont tous le premier rôle. Chaque personnage de l’univers de Simon Falguières est une figure de proue de ce parcours de vie initiatique, une clé essentielle à la refonte d’un monde désillusionné. Tous, même le Diable Badil (extraordinaire Mathias Zakhar jouant la perversité et l’abandon avec maestria) sont terriblement attachants et portent une histoire de vie. On citera notamment : John Arnold, absolument déchirant en roi et père orphelin de ses deux fils. Mathilde Charbonneaux, magistrale-ment drôle et fine en reine, Pia Lagrange, parfaite en héroïne tout comme Lorenzo Lefebvre, son héros alter-ego. Charlie Fabert, magique héros des Étoiles, est toujours aussi vibrant dans ses interprétations et particulièrement bouleversant en prince poète fauché par l’impossibilité d’être l’héritier qu’il n’est pas. Charly Fournier est magique en président devenu saltimbanque et diseur de bonne aventure, assurant le spectacle. Frédéric Dockès incarne à merveille le comédien romantique jugé “mauvais acteur” de la troupe ambulante (qui trouvera sa vocation acculé par le diable caché sous son faux nom). Autre pépite dans toutes ses apparitions : Antonin Chalon, grâce et générosité jaillissent de son jeu. Et Simon Falguières, qui s’offre des “petits rôles” par-ci, par-là dans ses pièces, est magistralement drôle si ce n’est déchirant en jeune balayeur du palais éclatant en sanglots à la mort du prince aîné : « Moi aussi, je n’ai pas entendu le monde qui part. » Ou l’image même du poète qui n’est jamais sur le devant de la scène mais qui ressent tout au plus profond de lui-même et offre son âme si belle au monde désenchanté… pour le ré-enchanter. Cette pièce du Nid de Cendres fera date et ravira tous les amoureux du théâtre, des récits et des grands voyages. Une merveille théâtrale !

Claire Bonnot

Le Nid de Cendres, écrit et mis en scène par Simon Falguières,

Une production Compagnie Le K,

Durée : 6h

avec John Arnold, Antonin Chalon, Mathilde Charbonneaux, Camille Constantin, Frédéric Dockès, Élise Douyère, Anne Duverneuil, Charlie Fabert, Simon Falguières, Charly Fournier, Victoire Goupil, Pia Lagrange, Lorenzo Lefebvre, Charlaine Nezan, Stanislas Perrin, Manon Rey, Mathias Zakhar. Scénographie : Emmanuel Clolus. Lumières : Léandre Gans. Création sonore : Valentin Portron. Costumes : Clotilde Lerendu assistée de Lucile Charvet Accessoires : Alice Delarue. Collaboration artistique : Julie Peigné. Assistanat à la mise en scène : Ludovic Lacroix. Équipe technique du K : Régie générale Clémentine Bollée Plateau Guillaume Rollinde Son Charlotte Notter Administration Martin Kergourlay, Justyne Leguy Genest.