"Cuervo" de Cosme et Oscar Castro : au nom du père

À voir si : vous avez le cœur passionné

Le vendredi 6 juin, le samedi 7 juin, le samedi 14 juin, le dimanche 15 juin, le samedi 21 juin et le dimanche 22 juin 2025
au Théâtre Aleph

© Cosme Castro


“Fiston, la création avant tout”

Oscar Cuervo Castro à son fils, Cosme


Au sein d’un dispositif mi-artisanal mi-technologique dont la compagnie La Comète Films a le secret, deux fils partent sur les traces de leur héritage familial, sur la terre d’origine de leur artiste de père : le franco-chilien Oscar Cuervo Castro, dramaturge, metteur en scène et comédien, dont la vie a été consacrée à créer, imaginer et repousser les murs d’une réalité parfois bien sombre pour célébrer la magie de la vie et résister à toutes tentatives d’oppressions. Enfermé sous la dictature de Pinochet deux années durant, il luttera, la joie chevillée au corps, en écrivant et jouant ses pièces devant ses camarades emprisonnés. Une leçon de vie !

Le spectacle commence dès l’entrée. Le théâtre Aleph est le cœur battant de cette histoire, fondé au Chili par Oscar Cuervo Castro en 1967 et trouvant terre d’asile en France dès 1976. Rougeoyant, infiniment chaleureux, parsemé de photos et peintures sur lesquelles on aperçoit un même visage rayonnant, ce lieu de vie et d’art invite instantanément au partage. En montant les escaliers nous conduisant à la salle, nous voilà couvés d’un regard clair, affirmé mais profondément doux derrière lequel on sent poindre - outre une certaine mélancolie - la facétie, la folie douce, l’audace. Il est là, il veille. Lui, c’est Oscar Cuervo Castro. Le héros de l’histoire. Ses fils lui offrent à nouveau de fouler cette scène tant aimée.

Une épopée transgénérationnelle aux enseignements intemporels

« Nous avons voulu mettre des images sur un passé qui garde sa part de mystères et de pudeur afin de lutter avec nos armes et défendre le monde invisible et l’imagination, si essentiels à nos yeux ». En janvier dernier, Cosme Castro, co-fondateur de la compagnie La Comète Films avec Jeanne Frenkel, et Oscar Castro, son frère, réalisateur, s’envolent pour le Chili. Leur père, décédé en 2021, a laissé un texte autobiographique, Théâtrographie, dans lequel il relate notamment sa vie dans les camps et sa résistance hors du commun. Se déclarant « Maire de la ville libre de Ritoque », « une ville protégée de la brutalité du monde par des barbelés », le jeune homme de 27 ans se promène dans le camp tiré dans une brouette, costumé des pieds à la tête, oeillet rouge, chapeau et nœud papillon. Il est déjà ce personnage extravagant qui fait des miracles grâce au pouvoir de l’imaginaire. Pendant deux ans, de 1974 à 1976, il écrira et mettra en scène une pièce, chaque semaine, dans le réfectoire de la prison, créant une véritable ébullition au sein d’un endroit que l’on imagine condamné (à ne pas pouvoir rêver). Les uns s’occupent de bâtir la scène, les autres de fabriquer tant bien que mal des éclairages, tous attendant avec impatience le rendez-vous avec les planches. Dans un road-trip documentaire projeté sur l’écran à même l’iPhone (géniale mise en abyme), les deux frères filment leurs pérégrinations en terres chiliennes, de la maison familiale aux camps de concentration - l’un a été rasé et n’est même pas un lieu de mémoire comme s’en émeuvent les fils Castro, l’autre est préservé, trônant sur un territoire désolé tel un fantôme du passé - en passant par les anciens co-détenus de leur père, interviewés dans des séquences profondément émouvantes, tournées cinquante ans après les faits. Tous sont unanimes : grâce à « El Cuervo », ils étaient plongés dans une autre dimension. Ils ne se sentaient pas en prison. Derrière les barbelés, les corps étaient enfermés mais les esprits libres… Tel ce petit corbeau de papier que l’on voit s’envoler sur l’écran projeté.

Une troupe familiale perpétuant l’esprit insufflé par « El Cuervo »

Car - et c’est toute la magie de La Comète Films, faiseur d’ovnis créatifs entre théâtre, cinéma et arts graphiques - l’histoire, écrite par le maestro Cuervo, narrée par un acteur en plateau (un autre frère Castro, ce soir-là - Sebastian Castro-Vallejo, puis deux comédiens en alternance amis de la troupe - Julien Campani et Stanley Weber) est mise en image grâce aux doigts de fées de Jeanne Frenkel (à la scénographie pour ce projet), qui, placée en bord de scène, fait vivre toutes les scènes en petits personnages et paysages de papiers, habilement mis en scène sous un projecteur. Le tout est soutenu par les mélodies enivrantes, mélancoliques ou sautillantes de Lou Rotzinger, un autre talent de la galaxie La Comète. Cette combinaison des médiums - entre poésie du fragile et nouvelles technologies - fait le lien entre passé, présent et futur, à l’image de cette quête filiale à la portée universelle : du Chili d’hier au Chili d’aujourd’hui, d’une génération à l’autre et d’une société à une autre. Ou la transmission à jamais nécessaire de la résistance aux obscurantismes, ici, grâce à la force de la création. Superbe !

Claire Bonnot

“Cuervo” par Cosme et Oscar Castro d’après Téâtographie d’Oscar Cuervo Castro

Durée : 1h30