"Hamlet" de William Shakespeare par Simon Delétang : prince de passions éternelles

À voir si : vous avez le cœur passionné et tourmenté

Du 30 juillet au 3 septembre
au Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher, à Bussang

Hamlet © Jean Louis Fernandez


“Le temps est disloqué. Ô destin maudit,
Pourquoi suis-je né pour le remettre en place !”

Hamlet, William Shakespeare


C’est en plein coeur de prés et de vallons vosgiens que se dresse cet émouvant théâtre intégralement fait de bois, à la scène ouverte sur la nature environnante. Fondé en 1895 par l’auteur, metteur en scène et chef de troupe Maurice Pottecher, ce théâtre “par l’art, pour l’humanité” - devises qui ornent les deux côtés de la scène - est l’un des berceaux du théâtre populaire. Un esprit familial, authentique et pur, règne indéniablement dans ce lieu hors du temps, rappelant nos rêves d’enfant. On y entre, émerveillés, prêts à se laisser emporter dans le tourbillon des sentiments d’Hamlet.

C’est cette figure essentielle du théâtre que Simon Delétang, directeur du Théâtre du Peuple depuis 2017, propose sous trois prismes : celui de la pièce de Shakespeare, de celle de Heiner Müller avec “Hamlet-Machine” et du seul-en-scène de et avec Loïc Corbery, “(Hamlet, à part)”. Un marathon théâtral puissant qui a trouvé là son écrin : aux tourments déchirants du prince du Danemark répondaient les tourments de la nature - pluie diluvienne et orages tonitruants jouant leur rôle à merveille.

Une mise en scène reliant passé et présent, présences scéniques et âme du public

Comme toujours dans le théâtre de Shakespeare, le public est partie prenante de la tragédie en cours. Simon Delétang joue sur ces deux tableaux, déployant ses acteurs aux quatre coins de la salle, et même, hors de scène, au coeur même d’un cadre bien réel, celui de la forêt vosgienne, décor naturel époustouflant en fond de scène. Les références se mélangent dans ce cadre chaleureux, ici habillé de cubes immaculés dressés sur les planches tels des obstacles infranchissables (hommage à la pièce d’Antoine Vitez (Chaillot, 1983) grâce à cette scénographie librement inspirée de celle de Yannis Kókkos). Les membres de la Cour du Danemark les traversent, comme imperturbables, vêtus de robes noires éminemment solennelles, et à la vitesse de leur propre encombrement mental, Hamlet, traînant la patte, plongé dans une sorte de brouillard dont le spectateur est complice. Le roi défunt du Danemark, son père, lui est en effet apparu sous la forme d’un spectre parlant, proférant une terrible nouvelle - l’image est puissante, l’acteur se voyant précédé d’un chien-loup majestueux. Il aurait été assassiné par son propre frère, Claudius, actuel régnant et nouvel époux de sa femme et mère d’Hamlet, Gertrude. Et il demande une vengeance. Le choc est terrible pour cet être pur qui n’ose passer à l’action et dont la ruse sera de jouer au fou pour que le coupable se dévoile de lui-même. Mais la folie feinte ne deviendra-t-elle pas le reflet réel d’un coeur meurtri par l’âpreté de la vie ? La scène de la pièce de théâtre qui confondra le roi est sublime, rappelant des peintures italiennes, et où une immense vanité trône en personnage principal de la pantomime - et de l’histoire - en cours. Sur ce plateau nu se juxtaposent ainsi des traits de notre contemporéanité et des vestiges du passé. Les frontières du temps semblent brouillées dans cette pièce oscillant entre contemporain et classique, à l’image du crâne encombré d’Hamlet, jouet d’un destin funeste, celui d’une humanité symbolique dénouant tous ses fils les plus sombres. Si ce mélange des genres peut dérouter de prime abord, il reflète aussi la superbe intemporalité de ce texte bouleversant.

Loïc Corbery, prince des planches

C’est au sein d’une troupe fougueuse, traditionnellement composée de professionnels et d’amateurs (onze sont membres de la troupe d’artistes amateurs de l’été 2022, Hugues Dutrannoix en Polonius est une vraie révélation), que le terreau tragique prend toute sa forme. Le héros, Hamlet, est joué par un prince des planches, le sociétaire de la Comédie-Française, Loïc Corbery, qui réalise ainsi un vœu. Il n’avait jamais auparavant interprété ce grand personnage du théâtre - il en avait même fait une pièce, “(Hamlet,à part)”, présentée durant ce marathon autour d’Hamlet, et que nous avions vue, fascinés, en 2019 en la Maison de Molière. Intégralement vêtu de noir - d’une veste à la prussienne et d’un pantalon bouffant, le comédien irradie. C’est là sa caractéristique. Loïc Corbery est de ces lumières qui éclairent la nuit, la transcendance harnachée à la taille. Le drame qui frappe ainsi son personnage n’en est que plus terrible, le comédien interprétant aisément les différents états d’être de ce garçon, pourtant lumineux, aux tourments infinis. Habité par le texte, Loïc Corbery en offre toute sa sève et l’on est emportés avec lui dans les errements et les renoncements d’Hamlet. La belle Ophélie en paiera le prix. Georgia Scalliet, ancienne pépite de la Comédie-Française, incarne cette figure féminine empêchée avec une modernité qu’on applaudie. De son phrasé et de son jeu toujours si inattendus, la comédienne s’empare du personnage avec la force (n’est-elle pas habillée de rouge ?) de celle qui prend malgré tout son destin en main. Sa subtilité de jeu, la puissance exprimée dans son corps, est d’une grande beauté. La scène de son enterrement n’en est alors que plus bouleversante : telle une peinture, le fond de scène s’ouvre sur la forêt vosgienne où une procession vient mettre un corps en terre. Hamlet, sur le plateau nu, accompagné d’Horatio (excellent Fabrice Lebert qui installe un final bouleversant), apprend alors que son aimée n’est plus. Loïc Corbery bondit alors littéralement dans la tombe pour enlacer le corps sans vie d’Ophélie, la cour du Danemark assistant - et nous-même public - à ce triste tableau d’une jeunesse sacrifiée à de terribles passions humaines.

En mêlant les époques et les références, cet Hamlet s’adresse finalement à toutes les générations et transmet l’histoire des hommes et celle du théâtre. Ces 3h30 offrent de passer par toutes les émotions avec des acteurs d’exception dont la générosité irradie toute la salle. Un partage total rendant hommage aux racines du Théâtre du Peuple.

Claire Bonnot

“Hamlet”, de William Shakespeare, scénographie et mise en scène par Simon Delétang

au Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher
40, Rue du théâtre
88540 Bussang

Durée : 3 h 30 environ (avec entracte)