Comment convoquer le merveilleux aujourd’hui en pleine (et rude) réalité ?
Tout ce qui fissure la réalité quotidienne de cette hibernation printanière forcée est bon à prendre. Manquent des visages aimés. Manque la variété des paysages. La mémoire a ses merveilles, on y puise. Des souvenirs revivent, on s’y vautre. Dans la nature aussi, quand on a au moins une fenêtre. Regardée avec amour, la nature est la merveille au-dessus des merveilles. Elle contient le passé, le présent, l’avenir. Tous les temps y sont lisibles.
Comment convoquez-vous le merveilleux quand vous écrivez ?
Si Pedro Páramo me bouleverse tant, c’est parce que c’est un roman de lisières, de seuils. Il n’y a pas de séparation entre les espaces dévolus aux vivants et les espaces habités par les morts. Tout est à vue autant que caché. Il m’évoque ma grand-mère calabraise qui nous soignaient, ma sœur et moi, avec des formules magiques et ses seules mains. Elle sentait des choses, visibles et invisibles, avec lesquelles elle semblait dialoguer. Tout le vécu est fait de ça : il y a ce que nous voyons, il y a ce qui nous pèse, ce qui nous entrave, ce qui nous alourdit, mais il y a aussi des matériaux sans poids, des cloisons transparentes, un parfum d’étrangeté qui enveloppe les choses et les êtres. L’écriture nécessite d’être poreux à tout. Ouvert. Accueillant. Sans préjugés, ni certitudes. Comme un enfant entre dans une forêt pour parler à sa peur et en faire une amie.