"Une des dernières soirées de Carnaval" de Carlo Goldoni par Clément Hervieu-Léger : le théâtre en fête !

À voir si : vous avez le cœur léger et passionné

Du 8 au 29 novembre 2019
au Théâtre des Bouffes du Nord

© Brigitte Enguérand

© Brigitte Enguérand


“Mes caractères sont vrais, simples et agréables, indépendamment du fond de la comédie”

Préambule de “Une des dernières soirées de Carnaval”, Carlo Goldoni


Fin meneur de troupe, Clément Hervieu-Léger offre avec son Goldoni une pièce de pur théâtre où la langue et l’interprétation virevoltent avec grâce et sophistication. Une bien belle soirée de carnaval théâtral où les masques n’ont pas leur place…

Sur la scène intimiste du Théâtre des Bouffes du Nord, des chandeliers attendent avec grâce leurs allumeurs d’un soir. Lové dans les murs ocres de cette salle aux airs d’ancien palais italien se tiendra un bal vénitien, celui des amours, des amitiés et personnalités dégainant leurs masques au temps du Carnaval, en 1762…

Un beau carnaval sans masques où les personnages revêtent les costumes de l’esprit, de la profondeur et de l’âme véritable
— Apartés

Le charme du groupe, le théâtre de la vie



Assister à une représentation théâtrale de Clément Hervieu-Léger, c’est être invité à un intense moment partagé. Le sociétaire de la Comédie-Française et co-fondateur de La Compagnie des Petits Champs, avec laquelle il signe ce spectacle, est un maître dans l’art de créer un théâtre de troupe. Son “Monsieur de Pourceaugnac” de Molière, joué en ce même lieu en 2016, emportait dans un rythme frénétique de farces cruelles, “L’Éveil du Printemps” de Wedekind salle Richelieu faisait courir la jeunesse perdue, “Le Pays Lointain” de Jean-Luc Lagarce à l’Odéon recréait la famille dans toute son essence. Citant Tchekhov au moment d’analyser cette pièce méconnue de Carlo Goldoni « une simple soirée entre amis au cours de laquelle il est question d’un départ. Et puis question d’amour aussi », le comédien-metteur en scène rappelle son désir de théâtre : « Après Monsieur de Pourceaugnac, j’avais envie en effet de continuer à mettre en scène un groupe, de continuer à interroger les rapports complexes qui régissent toute microsociété.» Nous voilà donc plongés dans un théâtre de la vie, du théâtre dans le théâtre, celui de Carlo Goldoni - préfigurant Tchekhov - incroyablement moderne, superbement vrai, (dans une traduction française de Myriam Tanant et Jean-Claude Penchenat) se délestant des masques de la Commedia dell’arte. Car le dramaturge italien joue ici l’une de ses propres dernières soirées de Carnaval alors qu’il fait ses adieux à son public italien avant d’aller rejoindre la patrie de Molière… Dans sa pièce, un certain Anzoletto, dessinateur pour les grands tisserands de la Sérénissime, doit lui aussi prochainement quitter la ville pour aller travailler à Moscou. Il sera l’un des protagonistes de cette soirée entre amis chez Zamaria, un tisserand vénitien accueillant, dont la fille - entre autres intrigues amoureuses - est éprise du jeune artiste. Chaque personnage (quinze comédiens sur scène dont deux musiciens et un chanteur) fait alors son entrée, d’une théâtralité superbe et pourtant si semblable à la vie : ici, le jeune couple tendrement ridicule car inséparable jusqu’à la jalousie maladive, là, une grande dame inconséquente et “malade imaginaire” torturant son mari amoureux transi ou, enfin, l’éternel séducteur beau parleur en mal d’amour… Dans un ballet de costumes et robes d’époque (superbes signés Caroline de Vivaise), les caractères se dévoilent et se jaugent, les liens se font et se défont au gré de conversations si peu mondaines et si modernes qu’elles en paraissent actuelles. Autour d’un grouillant et hilarant dîner à table - que de scènes mythiques de la littérature, du cinéma et du théâtre ont pris place à ce moment clé de l’échange amical et familial - le feu d’artifice des sentiments et des vérités est allumé. Un beau carnaval sans masques où les personnages revêtent les costumes de l’esprit, de la profondeur et de l’âme véritable. Un spectacle tout en intensité qui atteint son acmé en un final superbement chorégraphié. Où tous les sentiments sont libérés. Place à la fête !

S’enivrer à la table d’une merveilleuse famille de théâtre

Fougue, beauté et délicatesse décrivent à merveille la troupe de La Compagnie des Petits Champs, à suivre absolument ! Le bal est ici mené avec la grâce innée de Daniel San Pedro - il peut tout jouer, sa prestation survoltée dans “Monsieur de Pourceaugnac” reste un souvenir inoubliable pour Apartés, ici superbe Zamaria, hôte élégant d’un soir étonnant. Sa romantique fille est jouée avec une gracieuse légèreté par Juliette Léger - ravissante jeune première dans “Monsieur de Pourceaugnac”. Leurs invités offrent tous des prestations de haute volée : Aymeline Alix - si frêle et si poignante dans “Le Pays Lointain” - joue à merveille une sorte de diva dont les humeurs scandent drôlement la soirée. Guillaume Ravoire, excellent en frère révolté dans “Le Pays Lointain”, se glisse avec une aisance jouissive dans le costume du bourgeois désœuvré un tantinet décadent - un petit air de Vincent Perez - tandis que Stéphane Facco, dans le même registre, lui donne parfaitement la réplique avec le décalage clownesque dû à son rôle d’éternel amoureux. Louis Berthélémy - apparition dans “Le Pays lointain” - est parfaitement fiévreux dans le rôle du jeune amoureux et passionné par sa vocation. Marie Druc est irrésistible en Française éperdue d’amour, symbole de la femme dans toute sa splendeur. Clément Hervieu-Léger offre ainsi à sa troupe une foisonnante étendue de jeu.

Claire Bonnot

"Une des dernières soirées de Carnaval" de Carlo Goldoni par Clément Hervieu-Léger

Au Théâtre des Bouffes du Nord
37 (bis), boulevard de la Chapelle
75010 Paris

Du mardi au samedi à 20h30
Matinées les samedis (15h30) et le dimanche 24 novembre (16h)
Durée : 2h10