"Roméo et Juliette" de William Shakespeare par Paul Desveaux et les apprentis du studio ESCA : la fureur de vivre

À voir si : vous avez le cœur léger et passionné

Présentée en huis clos du 2 au 3 mars 2021

au

Théâtre Montansier de Versailles

© Laurent Schneegans

© Laurent Schneegans


“Ces joies violentes ont des fins violentes, et meurent dans leur triomphe”

Roméo et Juliette, William Shakespeare


Dans une mise en scène épurée faisant la part belle à l’interprétation et au texte, le « Roméo et Juliette » de Paul Desveaux et ses apprentis de l’ESCA bouillonne de la fureur de vivre de la jeunesse, empêchée, pourtant, par un destin joueur. Un beau moment de théâtre qui résonne fortement dans cette période où la jeunesse et la culture sont sacrifiées.

Dans ce petit bijou de théâtre, il n’y a pas foule cet après-midi là. Les représentations se font à huis clos, avec quelques professionnels, pandémie oblige. L’envie de s’immerger dans un autre monde est palpable. Et le spectacle commence… La scène est nue, simplement habillée d’un échafaudage en fond de scène, appelant, déjà, à l’esprit frondeur de la jeunesse. Elle s’échauffe, cette jeunesse, se croisant et se toisant dans les rues de Vérone, jouant d’élégance à qui aura le dernier mot. Elle se divise en deux camps, les fidèles des Capulet et les dévoués des Montaigu. L’insouciance se mêle à la violence, après les bons mots, les jeunes gens sont à couteaux tirés… Au semblant de facétie succède bien vite une explosion imminente. Ah ! l’imprévisible jeunesse…

Une jeunesse éternelle qui part à l’assaut de la vie et de la scène

Les mots poétiques du grand Will s’animent ici d’un ballet des corps, une folie douce qui explose en chorégraphie masquée pendant le bal de Juliette, en une fureur noire qui vient ôter la vie aux deux êtres brûlants que sont Mercutio et Tybalt et en un coup de foudre attisé par un baiser entre la Capulet et le Montaigu, Juliette et Roméo. Leur destin à tous semble se sceller dans cette fougue des corps et des âmes, à l’image de ce Roméo inconstant, passant aisément de Rosalinde à Juliette, mais se consumant toujours ardemment pour l’objet de l’Amour. Laissant toute place aux corps et aux voix des comédiens, de temps à autre bercés ou stimulés par une mélodie pop, Paul Desveaux cherche à laisser exulter le verbe et le symbole derrière chaque personnage. Car ces petits sont bien les jouets d’un destin plus grand qu’eux (et terrible), un conflit de générations, idiot pourrait-on dire, car d’où vient-il ? On ne sait même plus… Et c’est la question que cette mise en scène vient poser : « Que léguons-nous à nos enfants ? ». Imbriquant habilement notre temps à celui de la tragédie élisabéthaine, la pièce dévoile sur grand écran les espoirs déçus ou suspendus de la jeunesse d’aujourd’hui, mêlant le nœud d’une Juliette ou d’un Thybalt à celui, réel, de ses interprètes empêtrés dans la crise et s’interrogeant sur leur avenir. Ce besoin de vivre, de haïr, d’aimer, de hurler, de danser, de divaguer, de fêter, ce feu qui déborde du plateau, résonne puissamment aujourd’hui dans cette pièce à jamais éternelle du seizième siècle.

Une troupe vivifiante emportée dans ce tourbillon de la vie

La force de cette mise en scène réside dans ce qu’elle laisse échapper, la liberté qu’elle offre aux acteurs, celle d’interpréter des personnages se débattant avec la vie, qu’ils souhaitent brûler par les deux bouts. Si les débuts de l’histoire d’amour peinent quelque peu à emporter - le lyrisme fou de Shakespeare n’est pas aisé à animer dans notre modernité - l’intensité, que l’on sentait tapie dès le départ dans les coins sombres de Vérone et du plateau, va crescendo. Si l’on aime absolument le parti pris d’un Roméo et d’une Juliette écartés de tout sentimentalisme et semblables à cette jeunesse d’aujourd’hui plus directe, l’émotion suscitée par leur rencontre ne prend pas instantanément. Mais, chemin faisant, l’on s’attache peut-être plus aux mots de Shakespeare que dans une interprétation plus classique déroulant les vers. Et c’est là où, quand le drame surgit, l’émotion prend à la gorge. Quand Juliette est violemment rejetée par son père (excellent Fabrice Pierre, angoissant de tant de versatilité) Mathilde Cessinas habite son personnage avec une détresse et un dégoût qui remue. Là encore, l’actualité vient nous frapper au visage, celle des femmes battues, dans la lignée de ces siècles d’oppression féminine… Thomas Rio, robuste Roméo, rattrapé par le destin qui l’a vu tuer le cousin de sa femme, laisse aussi échapper toute sa colère et son malheur avec une vérité qui étrangle. Hervé Van der Meulen, leur confident, installe un Frère Laurent mystique dans une mise en scène quasi cinématographique, annonciateur d’une tragédie inéluctable. Ce que c’est beau de sentir ces quatorze comédiens et comédiennes pris dans le tourbillon de ce drame. Ils montent tous en intensité jusqu’à un final crève-cœur où l’on brûle autant que ces flambeaux allumés en bord de scène. En contraste dans les premières scènes, l’élan de la jeunesse est joyeusement amené par un couple d’épicuriens fou-fou, l’élégant Benvolio (belle présence ondulante de Anthony Martine) et la frondeuse Mercutio dont on retiendra la sérénade à la guitare de Kim Verschueren (certains rôles sont en quelque sorte non genrés, clin d’œil au théâtre élisabéthain et à notre temps) sans oublier la nourrice de Juliette, superbement interprétée par une Malou Vigier un brin foldingue et libérée, offrant des moments de rire extraordinaires. Nous retiendrons aussi un Pierre-Antoine Lenfant puissant de haine en Tybalt, un Pierre-Loup Mériaux habité en Pâris, jouet du destin, et une Léna Bokobza-Brunet adorable en Samson illettré et paniqué.

Habités par la modernité de cette mise en scène, les mots de Shakespeare résonnent jusqu’à l’assaut final et ce n’est pas toujours chose aisée, cette magnifique pièce tirant souvent un peu en longueur dans cette agonie finale. L’assaut ? Celui d’une jeune âme contre son propre corps, interdit de vivre pour ce pour quoi il vibre…

« Roméo et Juliette » de William Shakespeare mise en scène par Paul Desveaux avec les apprentis de l’ESCA

Durée : 2h15

Claire Bonnot