"Libres sont les papillons" de Eric-Emmanuel Schmitt par Jean-Luc Moreau : une envolée de fraîcheur

À voir : si vous avez le cœur léger

Jusqu'au 29 mai 2016
au Théâtre Rive Gauche


"Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir"

Libres sont les papillons, Eric-Emmanuel Schmitt


Sur proposition de la fille d'Alain Delon, Anouchka, et de son compagnon, Julien Dereims, Eric-Emmanuel Schmitt a merveilleusement adapté une comédie à succès de Broadway (signée Léonard Gershe) dans l'univers parisien. Avec "Libres sont les papillons", on s'envole littéralement en sortant, remplis de bonté, beauté et légèreté. Une pépite à voir au plus vite.

Sur la scène du théâtre Rive Gauche, la lumière se fait sur un jeune homme en train de composer sur un petit piano électrique dans un intérieur très très bohème (dixit délabré, de bric et de broc) mais très charmant. Sa voix est douce, il est beau garçon et a l'air heureux. Ça commence bien. Mais une sonnerie de téléphone retentit. C'est sa mère qui l'appelle de Neuilly. Où l'on apprend alors qu'il vit à Barbès...

Des acteurs émouvants, généreux et plein de fraîcheur...

« Je ne m'attendais pas à ce que mon fils devienne un grand explorateur ». Un deuxième personnage apparaît via la ligne téléphonique, à la droite du public, la mère du jeune homme (qui se nomme Quentin (le très émouvant et élégant Julien Dereims nommé pour le Molière de la Révélation masculine)). Son intérieur est aussi monacal et propret que celui de son fils est foutraque et joyeux. L'air pincé (la comédienne Nathalie Roussel est parfaite et déploiera toute sa sensibilité et sa grâce au cours de la pièce ; on l'a tant aimé en maman de Pagnol dans les films de Yves Robert...), elle lui demande pourquoi il a voulu partir dans cet « endroit ». On sent déjà l'incompréhension et la possessivité côté maman. Mais c'est alors que la porte d'â coté résonne d'une musique trop forte. Quentin raccroche et demande aux voisins d'arrêter ce tapage. Une voix féminine lui répond et lui propose de prendre le café. Pourquoi pas se dit-il. Mais la voilà à sa porte, attendant le café, elle n'en a pas chez elle. Apparaît alors sur scène la ravissante Anouchka Delon, la fille de, grande, tonique, virevoltante et tout sourire. Elle joue Julia qu'on sent déjà chez elle, un peu du genre sans gêne mais charmante tout de même. Ces deux-là se parlent du tac au tac, s'entendent déjà très bien. Quentin sourit souvent. Rit beaucoup. Et puis il sert le thé mais vise à côté. « Tu as déplacé la tasse ? » demande-t-il à la jeune fille. Eh oui... Il lui avoue qu'il est aveugle. Elle répond, avec son naturel déjà légendaire : « Mais aveugle aveugle ou juste un peu bigleux ? » D'emblée, le ton est donné. Pas de pathos, pas de cristallisation de la différence. Quentin n'en veut pas. Il aime beaucoup cette jeune femme qui lui parle comme s'il était voyant et oublie tous le temps son handicap. Le rapprochement sera plus facile car c'est en touchant qu'il apprend à connaître les gens. La scène est jolie tout plein et la jolie dame arrive à ses fins. Les deux tourtereaux passent la nuit ensemble mais le jour se levant, les intentions se dévoilent bien différentes de chaque côté. Quand la mère débarque à l'improviste, la comédie est à son apogée. Et le drame se noue lorsque les deux femmes se font face - la scène de la pomme est très mignonne : « Je voulais pas dire que vous étiez une vilaine sorcière », répond Julia - et que la jeune femme comprend que Quentin est un romantique alors qu'elle n'est qu'un papillon volage. Elle ne viendra pas dîner le soir. Quentin comprendra tout et passera de l'exaltation de la rencontre à la désespérance d'être différent. Dans une scène déchirante, le très juste Julien Dereims s'écroule par terre puis pleure dans les bras de sa mère redevenant ce petit garçon qu'il voudrait tant quitter : « Maman, j'suis pas Johnny Ténèbre, je suis pas ton héros, j'suis découragé moi, j'suis fini ». S'ensuivent des petites trahisons, des vérités prononcées sur le ton de la trivialité - « J'ai cassé une tasse », dit la mère. « Je peux vous aider ? », demande Julia. « Non, c'est déjà cassé », répond la mère - des maladresses pour un final plein de tendresse. Superbe !

... dans une comédie qui dépeint très justement la vie, entre gravité et légèreté

À partir d'une situation en apparence vécue par tous - la rencontre de deux jeunes gens habitant sur le même palier - cette charmante pièce parvient à mêler gravité et légèreté en universalisant les différences car « il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir » et Quentin, lui, ne voit pas, mais peut voir l'âme. Chacun à leur rythme, les personnages vont découvrir leur vérité et s'affranchir de leurs angoisses poussés - par la force de la situation - par le plus vulnérable d'entre eux, l'aveugle, Quentin. Il est rare de voir des comédies aussi justes, aussi belles, sans pathos maniéré et avec autant de profondeur et de pudeur. Les bons mots fusent, quitte à bousculer (on rit beaucoup), comme pour confronter chacun des protagonistes au monde réel - « C'est pas le public de culs serrés et de vagins secs qui habitent à Neuilly », s'exclamera le metteur scène et nouveau « petit-ami » de Julia (le beau-gosse sans finesse joué par Guillaume Beyeler). On remercie les jeunes Anouchka Delon et Julien Dereims en début de carrière d'avoir ressorti ce joli texte du Broadway des années 1970 et d'apporter sur les scènes parisiennes autant de simplicité et de spontanéité. Un seul mot : ça fait chaud au cœur.

Claire BONNOT

"Libres sont les papillons" de Léonard Gershe, adapté par Eric-Emmanuel Schmitt et mis en scène par Jean-Luc Moreau

Jusqu'au 29 mai
au Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris

Du mardi au samedi à 21h. Matinée le dimanche à 15h.
Durée : 1h30.